Après la crise est un livre qui met en lumière les conditions qui ont conduit à la crise et la crise plus large de la société capitaliste tardive. C’est une lecture adressée à la fois aux experts et au grand public qui veulent comprendre notre société et imaginer une société future, post-sociale, née après la crise, écrit Francesco Di Bernardo.
Après la crise. Alain Touraine (traduit par Helen Morrison). Régime politique. 2014.
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La crise économique a débuté avec le krach de Lehman Brothers en 2008 et affecte actuellement durement l’Europe. Elle est largement décrite comme la plus perturbatrice depuis la crise de 1929. Comme l’ont affirmé plusieurs observateurs, cela a non seulement causé des dommages considérables aux économies des États-Unis et des pays européens, mais a également déclenché de graves problèmes sociaux.
Le dernier ouvrage de l’éminent sociologue français Alain Touraine analyse les coûts sociaux de cette crise économique et cherche à envisager des alternatives viables pour formuler un idéal de société d’après-crise. Cette publication constitue une contribution importante d’un penseur renommé au débat sur les transformations sociales provoquées par la crise économique actuelle et sur la nécessité de repenser notre société.
Touraine est directeur de recherche à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il est également fondateur et directeur d’études du Centre d’analyse et d’intervention sociologique. Touraine est l’un des premiers penseurs à avoir théorisé la société postindustrielle et a beaucoup écrit sur la sociologie du travail et plus particulièrement sur la conscience ouvrière, les mouvements sociaux et plus récemment sur le Sujet, comme principe central d’action des mouvements sociaux.
Le livre est divisé en deux parties. Dans le premier, Touraine discute des causes et des effets de la crise en contextualisant son analyse dans le discours plus large autour de la société postindustrielle et de la crise de la société capitaliste. Dans la deuxième partie, en revanche, l’auteur explore des alternatives viables non seulement pour survivre à la crise mais aussi pour repenser l’ensemble de la société occidentale. La deuxième partie reflète le véritable objectif du livre : proposer des modèles de société basés sur des valeurs et une culture alternatives à celles de la société financiarisée du capitalisme de la fin du XXe et du XXIe siècle.
Les deux premiers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à l’analyse du contexte sociopolitique et économique dans lequel la crise est apparue. Touraine affirme que le capitalisme mondial de libre marché a profondément modifié la nature de la société et que ce qui était initialement considéré comme « une question de reconstruction de l’économie » a en effet déterminé l’enracinement des valeurs et de la culture qui ont changé notre société (p. 11). Dès lors, la crise actuelle n’est pas seulement pour la Touraine une crise économique mais c’est la crise de toute une société : « des événements d’une telle gravité ne remettraient pas seulement en cause la gestion de l’économie ; ils affecteraient toute l’organisation de notre société » (p. 11).
Touraine associe spécifiquement les causes de la crise aux pratiques de la finance déréglementée. Dans le deuxième chapitre, plus spécifiquement consacré à la discussion de la crise de la société capitaliste, Touraine affirme en effet : « au cours des dernières décennies […] le capital a été principalement orienté vers la spéculation » (p. 25). La maximisation des profits favorisée par la culture du secteur financier déréglementé adoptée par les élites les plus riches est, selon Touraine, la cause de « l’effondrement du système social » (p. 39). Cet « effondrement » est discuté plus en détail dans le quatrième chapitre convaincant, où Touraine critique le néolibéralisme, affirmant que « les néolibéraux ont essayé de nous faire croire que nous étions tous soumis aux lois de l’économie, que nous ne serions pas en mesure d’en prendre le contrôle ». de la situation économique» (p. 47). Il ajoute plus tard que « ces champions du déterminisme économique […] apparaissent désormais comme les principaux responsables d’une crise qu’ils ont dans une large mesure provoquée et alimentée (p. 47). Cependant, les financiers et les économistes néolibéraux ne sont pas les seuls responsables de l’état actuel des choses et de la crise ; cette situation ne se serait pas produite sans le silence des hommes politiques (en particulier du centre-gauche censés défier politiquement l’idéologie néolibérale), des syndicalistes et des intellectuels (pp. 48-51) qui ont décliné leur rôle de défenseurs des populations marginalisées et pauvres. et subalterne.
Au chapitre 5, Touraine commence à identifier les conditions nécessaires pour sortir de la crise et reconstruire notre société : « il faut identifier un principe suffisamment fort pour nous mobiliser contre la toute-puissance du profit » (p. 57). Les facteurs clés sont pour Touraine l’application de la morale (p. 60) et la mobilisation des victimes de la crise (p. 63).
Le chapitre 5 nous amène aux sections principales du livre, la deuxième partie, où l’auteur envisage quatre hypothèses pour une société future. Le sixième chapitre est sans doute l’un des plus convaincants. Il a d’abord émis trois hypothèses qu’il juge erronées : 1) le statu quo, 2) un affaiblissement durable de tous les acteurs sociaux, 3) le retour à la situation d’avant la crise une fois le pire passé ; l’auteur nomme cette dernière hypothèse de Tocqueville, en s’inspirant de l’analyse de Tocqueville sur les causes de la révolution française. (p. 74-75). La quatrième hypothèse formulée par Touraine comprend deux issues possibles : la première est appelée « l’avenir sombre », qui envisage la décadence de l’Europe, écrasée dans un étau entre déficit et austérité, et l’issue « l’avenir ouvert », qui se caractérise par la difficulté d’envisager un scénario probable (pp 79-84). L’impossibilité d’identifier un scénario alternatif à un avenir sombre est due, explique Touraine, à « l’absence de réactions sociales et politiques généralisées pendant la crise » (p. 82). Dans ce vide, « la seule réponse spontanée au triomphe de l’économie mondialisée sera un communautarisme défensif » (p. 83). Le danger, conclut Touraine de manière convaincante, est de glisser dans un « individualisme religieux » (p. 117).
Touraine conclut donc son argumentation par une cinquième conclusion : « l’idée large de respect des droits de l’homme doit être transformée de toute urgence en de nouvelles formes de relations sociales qui soient dynamiques et non seulement une question de droit » (p. 157). En d’autres termes, conclut le sociologue français, « la réponse la plus efficace à une crise est la reconstruction des relations entre les acteurs économiques, la mise en place d’un ensemble de valeurs partagées et de nouvelles interventions publiques» (p. 158).
Après la crise est un livre qui met en lumière les conditions qui ont conduit à la crise et la crise plus large de la société capitaliste tardive. C’est une lecture qui s’adresse aussi bien aux experts qu’au grand public qui souhaitent comprendre notre société et imaginer une société future, post-sociale, née après la crise.
Francesco Di Bernardo est titulaire d’un doctorat en littérature, culture et pensée modernes et contemporaines de l’Université Université du Sussex. Il s’intéresse aux relations entre la littérature et l’histoire, l’économie, la sociologie et la politique. Il a réalisé une thèse portant sur la représentation de l’histoire britannique des années 70 jusqu’à la crise financière de 2007-2008 dans les œuvres de Jonathan Coe et d’autres auteurs britanniques contemporains. Il est tuteur associé à l’École d’anglais de l’Université du Sussex et a travaillé comme assistant de soutien à la recherche pour l’École des médias, du cinéma et de la musique de l’Université du Sussex. Lire plus de commentaires de Francesco.